le 01/01/2003

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
     
     
     01/01/2003
     
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Au coeur des rizières

Ce matin encore, c'est à 5 heures que nous avons ouvert les yeux. Chaque matin, alors qu'il fait encore nuit, des hurlements s'échappent des hauts parleurs du village. C'est la voix du communisme, la voix de Hanoï, qui résonne dans les rues, bien avant que le coq se mette à chanter. Dehors comme dans la maison, doucement, naturellement, la vie s'organise. Comme si les hauts parleurs n'existaient pas. Devant la maison, passent les premières mobylettes, et déjà, de vieux camions un peu boiteux plongent les passants matinaux dans un épais nuage de poussière rouge. A côté de nous, le vieux Bac Ba sort de sa moustiquaire. Tante Jeannette est déjà dans la cuisine, les enfants enfilent leurs uniformes d'écolier, tandis que les plus vieux se préparent pour une journée de travail...

Pour ces gens de la ville, une nouvelle vie a commencé en 1975

Nous sommes arrivés dans le village il y a 5 jours. Ici, nous sommes dans la province de Long An, la province du Dragon Paisible, à 60 kilomètres au sud-ouest d'Ho Chi Minh-ville. Si près de la tumultueuse métropole et pourtant si loin. C'est dans ce village qu'une partie de la famille de Minh a trouvé refuge après la guerre, la victoire du communisme et les purges qui ont suivi. La grande maison de l'arrière grand-père a accueilli la famille de Bac Ba, son fils, sa femme et leurs deux enfants, et celle d'Oncle Tu, sa femme Jeannette et leurs trois filles.

Pour ces gens de la ville, une nouvelle vie a commencé en 1975. Dans le village, la famille possédait des terres, quelques hectares de rizières. Alors, il a fallu apprendre à cultiver le riz, demander conseils aux cousins, aux voisins, vivre au rythme de la terre et s'inventer une nouvelle vie.

Ils nous racontent la vie du temps des français, la guerre, le communisme...

Bac Ba et Oncle Tu parlent un français impeccable, plein d'humour et de mots oubliés, que seuls les anciens connaissent. Et à 78 ans, Bac Ba apprend encore. A la manière des vieux chinois qui pratiquent le Taï Chi, Bac Ba s'est choisi une gymnastique cérébrale. Son vieux manuel de français, son dictionnaire Larousse, millésime 1978, et les 4 volumes du Littré qui lui restent, sont ses livres de chevet. "Excusez mon français, mais le mots me manquent. C'est pourquoi je suis forcé de parler par périphrases" nous répète t-il souvent. Ensemble, ils nous racontent la vie du temps des français, la guerre, les camps de rééducation, le communisme, la culture du riz ... Ils abreuvent nos têtes d'images, de souvenirs, d'anecdotes tandis que Tante Jeannette s'occupent de nos estomacs.

Jeannette, c'est le sourire de la maison

Jeannette, c'est le sourire de la maison. Et un vrai cordon bleu. Elle passe ses matinées à éplucher, découper, faire griller et mijoter de bons petits plats. Les repas pris en famille sont presque interminables et jour après jour, une multitude de nouveaux plats orne la grande table ronde. A l'aide de baguettes, chacun picore dans les plats. Un peu de soupe de concombre amer, un peu de canard, de la salade de légumes aux crevettes, du poulet mariné, du riz, et des fruits du jardin... "Mangez, mangez !" Comme si elle avait décidé de remplumer les deux voyageurs au long cours que nous sommes. Alors quand les voisins et les cousins rendent visite à la famille, c'est en riant qu'ils nous trouvent meilleure mine : " On dirait que vous avez pris du poids ici !" Et en effet, ici, on prend des forces pour la suite du voyage...

Autour de la maison, les rizières s'étendent à perte de vue

Autour de la maison, les rizières s'étendent à perte de vue. Un vert éblouissant. Le long des parcelles, de petites digues retiennent l'eau dans laquelle pousse le riz. Dans cette région proche du Delta du Mékong, l'eau ne manque pas. Partout des bras de rivières, qu'il faut traverser sur de vieux bacs pour gagner le village voisin, et de grandes péniches transportant du sable. Dans les villades, les rizières appartiennent aux ancêtres. Des petites tâches blanches et grises, couleur ciment. Des tombeaux. Alors que chez nous, on cache les morts derrière de longs murs, au Vietnam, les morts ont leur place parmi les vivants, en plein cœur des rizières.

Au fil des promenades et des discussions, nous découvrons cette campagne un peu méridionale et tellement attachante où l'on passe des heures à manger, à discuter, à faire la sieste pendant les moments chauds de la journée, à boire le thé ...

Demain matin, nous reprendrons la route. Par le bus de 7 heures. Déjà, le vieux Bac Ba nous fait comprendre que cette première rencontre sera peut être la dernière. Mais poétiquement, il nous dit "Vous êtes comme de grands oiseaux qui volez très haut..."

Nani et Minh

A suivre en images :
une balade dans le village